Voilà plusieurs semaines que nous naviguons avec nos kayaks de mer, chargés de tout ce qui nous rend autonome. Le poids de notre fret alourdit considérablement les embarcations qui glissent à quelques centimètres au dessus de l’eau. Ramer est très physique dans ces conditions, surtout quand le temps se détériore.

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Dans ces contrées polaires, le vent peut se lever soudainement, transformer une mer d’huile en creux de deux mètres et geler tout ce qui ne devrait pas être là, c’est-à-dire « nous ». Le pire danger vient d’un autre phénomène : le brouillard. Parfois, sans avertir, il arrive soudainement et recouvre tout. On devient alors aveugle et il est impossible de s’orienter. Le risque est simple, ne plus retrouver la berge et mourir d’épuisement, de faim et de froid. Un autre danger et pas le moindre, est d’éviter les montagnes de glace que nous frôlons. Régulièrement, une détonation résonne, c’est un iceberg qui se brise et se retourne. Si nous sommes trop prêts, la glace peut nous engloutir, nous écraser aussi et ensuite il y a la vague que l’on doit anticiper en lui faisant face !

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Je me souviens de mon arrogance lorsque le chef d’expédition m’a ordonné de fermer ma combinaison sèche que j’avais laissé ouverte jusqu’à la taille. Je râlé en la fermant jusqu’au cou. Je ne sais pas ce qui m’a pris ce jour-là, je voulais être seul, vivre un moment de présence. Trop confiant, la musique dans les oreilles, j’ai volontairement laissé partir mes compagnons et j’ai ramé vers cet immense iceberg bleu turquoise. J’avais repéré un plafond bas, sur une vingtaine de mètres, creusé à sa base. – allé, je vais me faire plaisir et passé dessous comme dans un tube au surf. Encore deux mètres, je donne un grand coup de rame pour me laisser glisser sous ce toit naturel, magnifique. La sensation est unique, la couleur de la glace au dessus, en dessous. Mon ride éphémère, rien que pour moi est mon instant de grâce, ma récompense. Je ne sais pas si c’est l’excès de confiance ou la peur de rester là, voilà que je décide de donner un coup de rame inutile à gauche et là… Je touche la glace, déséquilibre mon bateau, impossible de rectifier à cause du poids ! Horreur, je vois son nez se pencher à droite, je vais me retourner. J’ai le temps de comprendre que je vais être sous l’eau, sous des tonnes de glace qui peuvent à tout moment sortir de leur torpeur. Si j’avais laissé ma combinaison ouverte, l’eau se serait engouffrée et j’aurai coulé au fond de l’océan.

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